SALLE DE LECTURE


Gilles de Rais
Durtal
(dans Huysmans
Là-bas, 1891)

Gilles de Rais 

    Les Evêques s’assirent, au premier rang, entourèrent, immobiles, Jean de Malestroit qui, d’un siège plus haut, dominait la salle.
    Sous l’escorte d’hommes d’armes, Gilles entra.
    Il était défait, hâve, vieilli de vingt années en une nuit. Ses yeux brûlaient dans des paupières rissolées, ses joues tremblaient.
    Sur l’injonction qui lui fut adressée, il commença le récit de ses crimes.
    D’une voix sourde, obscurcie par les larmes, il raconta ses rapts d’enfants, ses hideuses tactiques, ses stimulations infernales, ses meurtres impétueux, ses implacables viols ; obsédé par la vision de ses victimes, il décrivit leurs agonies ralenties ou hâtées, leurs appels ou leurs râles ; il avoua s’être vautré dans les élastiques tiédeurs des intestins ; il confessa qu’il avait arraché des cœurs par des plaies élargies, ouvertes, telles que des fruits mûrs.
    Et d’un œil de somnambule, il regardait ses doigts qu’il secouait, comme pour en laisser égoutter le sang.
    La salle atterrée gardait un morne silence que lacéraient soudain quelques cris brefs ; et l’on emportait en courant, des femmes évanouies, folles d’horreur.
    Lui, semblait ne rien entendre, ne rien voir ; il continuait à dévider l’effrayante litanie de ses crimes.
    Puis sa voix devint plus rauque. Il arrivait aux effusions sépulcrales, au supplice de ces petits enfants qu’il cajolait afin de leur couper, dans un baiser, le cou.
    Il divulgua les détails, les énuméra tous. Ce fut tellement formidable, tellement atroce, que, sous leurs coiffes d’or, les Evêques blêmirent ; ces prêtres, trempés aux feux des confessions, ces juges qui, en des temps de démonomanies et de meurtres, avaient entendu les plus terrifiants aveux ; ces prélats qu’aucun forfait, qu’aucune abjection des sens, qu’aucun purin d’âme n’étonnaient plus, se signèrent et Jean de Malestroit se dressa et voila, par pudeur, la face du Christ.