SALLE DE LECTURE

Poésies de
Hubert d’Entragues 
(dans  Rémy de Gourmont
Sixtine, 1890.)

SEQUENCE

 La très chère aux yeux clairs apparaît sous la lune,
Sous la lune éphémère et mère des beaux rêves.
La lumière bleuie par les brumes cendrait
D’une poussière aérienne
Son front fleuri d’étoiles, et sa légère chevelure
Flottait dans l’air derrière ses pas légers :
La chimère dormait au fond de ses prunelles.
Sur la chair nue et frêle de son cou,
Les stellaires sourires d’un rosaire de perles
Etageaient les reflets de leurs pâles éclairs. Ses poignets
Avaient des bracelets tout pareils ; et sa tête,
La couronne incrustée des sept pierres mystiques
Dont les flammes transpercent le cœur comme des glaives
Sous la lune éphémère et mère des beaux rêves. 

         *

MORITURA

Dans la serre torride, une plante exotique
Penchante, résignée : éclos hors de saison
Deux boutons fléchissaient, l’air grave et mystique ;
La sève n’était plus pour elle qu’un poison.

 Et je sentais pourtant de la fleur accablée
S’évaporer l’effluve âcre d’un parfum lourd,
Mes artères battaient, ma poitrine troublée
Haletait, mon regard se voilait, j’étais sourd.

 Dans la chambre, autre fleur, une femme très pâle,
Les mains lasses, la tête appuyée aux coussins :
Elle s’abandonnait : un insensible râle
Soulevait tristement la langueur de ses seins.

 Mais ses cheveux tombant en innombrables boucles
Ondulaient sinueux comme un large flot noir
Et ses grands yeux brillaient du feu des escarboucles
Comme un double fanal dans la brume du soir.

Les cheveux m’envoyaient des odeurs énervantes,
Pareilles à l’éther qu’aspire un patient,
Je perdais peu à peu de mes forces vivantes
Et les yeux transperçaient mon cœur inconscient.

                                     *

                       LA FORET BLONDE

 Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse,
Mes herbes sont les cils trempés de larmes claires
Et mes blancs liserons sont les écrins, paupières
Où les bourraches bleues, ces yeux fleuris, reposent
Leurs éclatants saphirs, étoilés de sourires,
Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse.

 Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse,
Mes lierres sont les lourds cheveux et les viornes
Contournent leurs ourlets pareils à des oreilles.
O muguets, blanches dents ! Eglantines, narines !
O gentianes roses, plus roses que les lèvres !
Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse.

 Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse,
Mes saules ont le profil des tombantes épaules,
Mes trembles sont des bras tremblants de convoitise,
Mes digitales sont les doigts frêles, et les oves
Des ongles sont moins fins que la fleur de mes mauves
Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse.

 Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse,
Mes sveltes peupliers ont des tailles flexibles
Mes hêtres blancs et durs sont de fermes poitrines
Et mes larges platanes courbent des ventres
L’orgueilleux bouclier de leurs écorces fauves,
Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse.

 Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse,
Boutons rouges, boutons sanglants des pâquerettes,
Vous êtes les fleurons purs et vierges des mamelles.
Anémones, nombrils ! Pommeroles, auréoles !
Mûres, grains de beauté ! Jacinthes, azur des veines !
Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse.

 Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse,
Mes ormes sont la grâce des reins creux et des hanches,
Mes jeunes chênes, la force et le charme des jambes,
Le pied nu de mes aunes se cambre dans les sources
Et j’ai des mousses blondes, des mystères, des ombres,
Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse.

 

                 *

LE FIL

De quoi s’agit-il ?
De presque rien. Ah !
Le plaisir tient à
        Un fil.

C’est un fil de tulle,
C’est un fil de soie :
S’en va comme une bulle,
        La joie.