SALLE DE LECTURE

La Bilboquéide
de
Gourdon l’aîné
(dans Balzac
Les Paysans, 1845)

La Bilboquéide

(extraits)

Premier chant

 

Je chante ce doux jeu qui sied à tous les âges,
Aux petits comme aux grands, aux fous ainsi qu’aux sages ;
Où notre agile main, au front d’un buis pointu,
Lance un globe à deux trous dans les airs suspendus.
Jeu charmant, des ennuis infaillible remède
Que nous eût envié l’inventeur Palamède !
O Muse des Amours et des Jeux et des Ris,
Descends jusqu’à mon toit où fidèle à Thémis,
Sur le papier du fisc, j’espace des syllabes…

 C’est ainsi que les Arts et la Science même
A leur profit enfin font tourner un objet
Qui n’était de plaisir qu’un frivole sujet.
 

Second chant

 Regardez ce joueur, au sein de l’auditoire,
L’œil fixé tendrement sur le globe d’ivoire,
Comme il épie et guette avec attention
Ses moindres mouvements dans leur précision !

 La boule a, par trois fois, décrit sa parabole,
D’un factice encensoir, il flatte son idole ;
Mais le disque est tombé sur un poing maladroit,
Et d’un baiser rapide il console son doigt.
Ingrat ! ne te plains pas de ce léger martyre,
Bienheureux incident, trop payé d’un sourire !

 Quatrième chant

 Ainsi j’osais chanter en des temps pleins d’alarmes.
Ah ! si les rois jamais ne portaient d’autres armes.
Si les peuples jamais pour charmer leurs loisirs
N’avaient imaginé que de pareils plaisirs,
Notre Bourgogne, hélas, trop longtemps éplorée,
Eût retrouvé les jours de Saturne et de Rhée !