Et M. Roux commença de dire d’une voix violente,
prolongée et chantante La Métamorphose de la Nymphe. Il dit, en des vers
coupés çà et là par le roulement des camions :
La nymphe blanche
Qui coule à pleines
hanches,
Le long du rivage
arrondi
Et de l’île où les
saules grisâtres
Mettent à ses flancs la
ceinture d’Eve,
En feuillages ovales,
Et qui fuit pâle.
Puis il fit paraître, en des tableaux changeants
:
De vertes berges,
Avec l'auberge
Et les fritures de
goujon.
La nymphe s'échappe,
inquiète, troublée. Elle
approche de la ville ; et la métamorphose s'accomplit.
La pierre du quai dur
lui rabote les hanches,
Sa poitrine est hérissée
d'un poil rude,
Et noire de charbons,
que délaye la sueur,
La nymphe est devenue un
débardeur.
Et là-bas est le dock
Pour le coke.
Et le poète chanta le fleuve traversant la cité.
Et le fleuve, d'ores en
avant municipal et historique,
Et dignement d'archives,
d'annales, de fastes,
De gloire,
Prenant du sérieux et
même du morose
De pierre grise,
Se traîne sous la lourde
ombre basilicale
Que hantent encore des Eudes,
des Adalberts,
Dans les orfrois passés,
Evêques qui ne bénissent
pas les noyés anonymes,
Anonymes,
Non plus des corps, mais
des outres,
Qui vont outre,
Le long des îles en
forme de bateaux plats
Avec, pour mâtures, des
tuyaux de cheminées.
Et les noyés vont outre.
Mais arrête-toi aux
parapets doctes,
Où dans les boîtes, gît
mainte anecdote,
Et le grimoire à
tranches rouges sur lequel le platane
Fait pleuvoir ses
feuilles,
Il se peut que, là, tu
découvres une bonne écriture :
Car tu n'ignores pas la
vertu des runes
Ni le pouvoir des signes
tracés sur les lames.
M. Roux suivit longtemps encore le cours du fleuve
illustre et finit sa récitation sur le seuil du doyen.
— C'est très bien, lui dit M. Compagnon, qui ne
détestait pas la littérature, mais qui, faute d'habitude, n'aurait pas facilement distingué un vers de Racine d'un
vers de Mallarmé.
Et M. Bergeret songea :
— Si pourtant c'était un chef-d'œuvre?
Et,
de peur d'offenser la beauté inconnue, il serra en silence la main du poète.
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