SALLE DE LECTURE

« Le Palais hanté » de
Roderick Usher 
(dans Edgar Poe
La Chute de la maison Usher
, 1839
)

 

                        I
Dans la plus verte de nos vallées,
Par les bons anges habitée,
Autrefois un beau et majestueux palais,
– Un rayonnant palais, – dressait son front.
C’était dans le domaine du monarque Pensée,
C’était là qu’il s’élevait :
Jamais Séraphin ne déploya son aile
Sur un édifice à moitié aussi beau.

                                  II

Des bannières blondes, superbes, dorées,
A son dôme flottaient et ondulaient ;
(C’était, – tout cela c’était dans le vieux temps,
Dans le très vieux temps,)
Et, à chaque douce brise qui se jouait
Dans ces suaves journées,
Le long des remparts chevelus et pâles,
S’échappait un parfum ailé.

                        III

Les voyageurs, dans cette heureuse vallée,

A travers deux fenêtres, voyaient
Des esprits qui se mouvaient harmonieusement
Au commandement d’un luth bien accordé,
Tout autour d’un trône, où, siégeant
– Un vrai Porphyrogénète, celui-là ! –
Dans un apparat digne de sa gloire,
Apparaissait le maître du royaume.

                        IV

 
Et tout étincelante de nacre et de rubis
Etait la porte du beau palais,
Par laquelle coulait à flots, à flots, à flots,
Et pétillait incessamment
Un groupe d’Echos dont l’agréable fonction
Etait simplement de chanter,
Avec des accents d’une exquise beauté,
L’esprit et la sagesse de leur roi.

                        V

 Mais des êtres de malheur, en robes de deuil,
Ont assailli la haute autorité du monarque.
– Ah ! pleurons ! car jamais l’aube d’un lendemain
Ne brillera sur lui, le désolé ! –
Et tout autour de sa demeure, la gloire
Qui s’empourprait et fleurissait
N’est plus qu’une histoire, souvenir ténébreux
Des vieux âges défunts.

                       VI

 Et maintenant les voyageurs dans cette vallée,
A travers les fenêtres rougeâtres, voient
De vastes formes qui se meuvent fantastiquement
Aux sons d’une musique discordante ;
Pendant que, comme une rivière rapide et lugubre,
A travers la porte pâle,
Une hideuse multitude se rue éternellement,
Qui va éclatant de rire, – ne pouvant plus sourire.