SALLE DE LECTURE | |
L'Adorant |
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L’ADORANT
La nuit par la meurtrière entra, conclusion d’une journée d’horreur. On l’avait oublié ; et il n’avait pas eu sa promenade quotidienne. Peut-être allait-il périr là, sans revoir la Novella ? Matin, midi ou soir, selon les arabesques de sa fantaisie, Veltro, son geôlier, d’un violent tour de clef, ouvrait la porte : “A la tour !” Della Preda, l’air obéissant, montait les rares degrés de l’escalier étroit et obscur ; il montait lentement, comme s’acheminant à un service irrécusable, car il le savait, on ne lui donnait ces quotidiennes minutes de grand air et de factice liberté que pour lui faire plus sûrement sentir les affres de la cellule, empêcher qu’il ne perdît la notion du temps et de la durée de sa peine. C’est afin d’atteindre rationnellement ce but, sans doute, que les rigides philanthropes modernes instituèrent le strict règlement des prisons nouvelles. En 1489, les barigels de Naples connaissaient déjà le moyen d’éviter ces abus de confiance par lequel le condamné transmue son châtiment en un mauvais songe ; mais on le réservait aux prisonniers de marque. Guido della Preda, comte de Santa-Maria, était accusé d’avoir conspiré, les uns disaient contre la sûreté de l’Etat, les autres contre l’honneur de la reine. On ne l’avait pas pendu parce qu’il était gentilhomme ; on ne l’avait pas décapité, parce qu’il était innocent ; une peine spéciale lui avait été dévolue, car il faut bien faire un différence dans une geôle royale entre les prisonniers qui sont coupables et ceux qui ne le sont pas. Il
était au secret : la conscience de l’injustice aurait pu l’induire en des
tentatives d’évasion ou de révolte et son intelligence en eût fait le chef
nécessaire des gredins vautrés de compagnie sur la paille du commun cachot ; et
il n’est pas bon qu’un prisonnier sorte de prison par la fenêtre ou qu’un
geôlier soit étranglé dans une bagarre : c’est d’un très mauvais exemple, et
bien fait pour déconsidérer les prisons. Ce raffinement, privilège discuté et
accordé en conseil d’Etat sur la prière du Saint-Office (car della Preda était
l’un des treize pairs du royaume), avait encore une autre raison : “Notre Guido
est innocent selon les lois passagères, mais qui peut se vanter de l’être selon
les lois éternelles ? Qu’il souffre donc d’avance le châtiment que Dieu lui
réserve pour son début dans l’autre vie ! Qu’il souffre plus que les autres,
puisqu’il est moins coupable ! Que chaque heure de sa vie mortelle soit un
acheminement douloureux vers la mort libératrice, par qui s’ouvre l’éternité !
Ah ! C’est un grand bonheur pour lui que d’avoir été impliqué dans ce procès
!” |
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