SALLE DE LECTURE | |
La Bourgeoisie |
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P Dans
son roman, l’idée mère était la gradation et l’assemblage de trois générations
de la bourgeoisie, montrée à ses trois âges et sous ses trois formes. D’abord
en bas à la souche, c’était le grand-père, l’acheteur de biens nationaux,
l’homme du bien-fonds, le fondateur du patrimoine, et l’incarnation du
sentiment de la propriété ; amasseur de terres, se dérobant, en dehors de tout
ce qui n’est pas l’impôt, aux grandes lois économiques de la circulation de l’argent
; dur à lui-même, dur aux autres, de cette dureté de paysan qui rappelle en
province Rome par Caton, et chasse vers le servage plus humain de la ville les
populations des campagnes ; l’homme absolument détaché de cette grande famille
: la Patrie ; l’homme assis dans un égoïsme brutal et carré, sans une foi, et
prêt d’avance à tout pouvoir qui n’inquiète pas son champ. Au milieu, Charles
plaçait le père avec ces franchises, ces dévouements, ces générosités, ces
aspirations, ces religions de solidarité humaine ou nationale, tous les élans,
toutes les belles passions que lui avait appris le métier de soldat de sa
jeunesse, les guerres de l’Empire, puis les guerres de la paix, les luttes
politiques de la Restauration ; grandes guerres, nobles batailles qui avaient
refait son sang, élargi sa poitrine, élevé son cœur, et mis en lui comme une
cordiale majesté de l’honneur, comme la dernière restauration des plus saines
et des plus belles vertus de la bourgeoisie du XVIIe siècle. Le
petit-fils de ce grand-père, le fils de ce père, homme hâtif, gangrené à vingt
ans des sciences de l’expérience, sorte d’enfant vieillard, résumait dans sa
personne les ambitions froides, les impatiences de parvenir, les sécheresses et
le calcul des intérêts, le trouble du sens moral par les conseils et les
tentations de fortunes scandaleuses, tous les scepticismes pratiques de la
jeunesse moderne. |
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