SALLE DE LECTURE

Olympia ou les Vengeances romaines
sans nom d’auteur
(dans Balzac
La Muse du département, 1843)


 …ne trouva pas d’asile plus sûr que d’aller sur-le-champ dans le souterrain où devaient être les trésors de la maison de Bracciano. Léger comme la Camille du poète latin, il courut vers l’entrée mystérieuse des Bains-de-Vespasien. Déjà les torches éclairaient les murailles, lorsque l’adroit Rinaldo, découvrant avec la perspicacité dont l’avait doué la nature, la porte cachée dans le mur, disparut promptement. Une horrible réflexion sillonna l’âme de Rinaldo comme la foudre quand elle déchire les nuages. Il s’était emprisonné !… Il tâta le mur avec une inquiète précipitation, et jeta un cri de désespoir quand il eut vainement cherché les traces de la serrure à secret. Il lui fut impossible de se refuser à reconnaître l’affreuse vérité. La porte habilement construite pour servir les vengeances de la duchesse, ne pouvait pas s’ouvrir en dedans. Rinaldo colla sa joue à divers endroits, et ne sentit nulle part l’air chaud de la galerie. Il espérait rencontrer une fente qui lui indiquerait l’endroit où finissait le mur, mais rien, rien !… la paroi semblait être un seul bloc de marbre…

            Alors il lui échappa un sourd rugissement d’hyène…

            Un gémissement profond répondit au cri de Rinaldo ; mais, dans son trouble, il le prit pour un écho, tant ce gémissement était faible et creux ! il ne pouvait pas sortir d’une poitrine humaine…

Santa Maria ! dit l’inconnu.

— Si je quitte cette place, je ne saurai plus la retrouver ! pensa Rinaldo quand il reprit son sang-froid accoutumé. Frapper, je serai reconnu : que faire ?

— Qui donc est là ? demanda la voix.

— Hein ! dit le brigand, les crapauds parleraient-ils, ici ?

— Je suis le duc de Bracciano ! Qui que vous soyez, si vous n’appartenez pas à la duchesse, venez, au nom de tous les saints, venez à moi…

— Il faudrait savoir où tu es, monseigneur le duc, répondit Rinaldo avec l’impertinence d’un homme qui se voit nécessaire.

— Je te vois, mon ami, car mes yeux se sont accoutumés à l’obscurité. Ecoute, marche droit… bien… tourne à gauche… viens… ici… Nous voilà réunis.

            Rinaldo, mettant ses mains en avant par prudence, rencontra des barres de fer.

— On me trompe ! cria le bandit.

— Non, tu as touché ma cage…

Assieds-toi sur un fût de marbre qui est là.

— Comment le duc de Bracciano peut-il être dans une cage ? demanda le bandit.

— Mon ami, j’y suis depuis trente mois, debout sans avoir pu m’asseoir… Mais qui es-tu, toi ?

— Je suis Rinaldo, le prince de la campagne, le chef de quatre-vingts braves que les lois nomment à tort des scélérats, que toutes les dames admirent et que les juges pendent par une vieille habitude.

— Dieu soit loué !… Je suis sauvé… Un honnête homme aurait eu peur ; tandis que je suis sûr de très bien m’entendre avec toi, s’écria le duc. O mon cher libérateur, tu dois être armé jusqu’aux dents.

E verissimo !

— Aurais-tu des…

— Oui, des limes, des pinces… Corpo de Bacco ! je venais emprunter indéfiniment les trésors Bracciani.

— Tu en auras légitimement une bonne part, mon cher Rinaldo, et peut-être irais-je faire la chasse aux hommes en ta compagnie…

— Vous m’étonnez, Excellence !…

— Ecoute-moi, Rinaldo ! Je ne te parlerai pas du désir de vengeance qui me ronge le cœur : je suis là depuis trente mois — tu es italien — tu me comprendras ! Ah ! mon ami, ma fatigue et mon épouvantable captivité ne sont rien en comparaison du mal qui me ronge le cœur. La duchesse de Bracciano est encore une des plus belles femmes de Rome, je l’aimais assez pour en être jaloux…

— Vous, son mari !…

— Oui, j’avais tort peut-être !

— Certes, cela ne se fait pas, dit Rinaldo.

— Ma jalousie fut excitée par la conduite de la duchesse, reprit le duc. L’événement a prouvé que j’avais raison. Un jeune Français aimait Olympia, il était aimé d’elle, j’eus des preuves de leur mutuelle affection… Alors je voulus m’assurer de mon malheur, afin de pouvoir me venger sous l’aile de la Providence et de la Loi. La duchesse avait deviné mes projets. Nous nous combattions par la pensée avant de nous combattre le poison à la main. Nous voulions nous imposer mutuellement une confiance que nous n’avions pas ; moi pour lui faire prendre un breuvage, elle pour s’emparer de moi. Elle était femme, elle l’emporta ; car les femmes ont un piège de plus que nous autres à tendre, et j’y tombai : je fus heureux ; mais le lendemain matin je me réveillai dans cette cage de fer. Je rugis toute la journée dans l’obscurité…