SALLE DE LECTURE

L'Alcade dans l'embarras
M. de Cursy
(dans Balzac
Illusions perdues, 1842-1848)

L’Alcade dans l’embarras

(Article de Lucien Chardon)

PANORAMA-DRAMATIQUE

Première représentation de L’Alcade dans l’embarras, imbroglio en trois actes.
Début de Mlle Florine.  Melle Coralie. Bouffé.


            On entre, on sort, on parle, on se promène, on cherche quelque chose et l’on ne trouve rien, tout est en rumeur. L’alcade a perdu sa fille et retrouve son bonnet ; mais le bonnet ne lui va pas, ce doit être le bonnet d’un voleur. Où est le voleur ? On entre, on sort, on parle, on se promène, on cherche de plus belle. L’alcade finit par trouver un homme sans sa fille, et sa fille sans un homme, ce qui est satisfaisant pour le magistrat, et non pour le public. La calme renaît, l’alcade veut interroger l’homme. Ce vieil alcade s’assied dans un grand fauteuil d’alcade en arrangeant ses manches d’alcade. L’Espagne est le seul pays où il y ait des alcades attachés à de grandes manches, où se voient autour du cou des alcades, ces fraises qui sur les théâtres de Paris sont la moitié de leurs fonctions. Cet alcade qui a tant trottiné d’un petit pas de vieillard poussif, est Bouffé, Bouffé le successeur de Potier, un jeune acteur qui fait si bien les vieillards qu’il a fait rire les plus vieux vieillards. Il y a un avenir de cent vieillards dans ce front chauve, dans cette voix chevrotante, dans ces fuseaux tremblants sous un corps de Géronte. Il est si vieux, ce jeune acteur, qu’il effraie, on a peur que sa vieillesse ne se communique comme une maladie contagieuse. Et quel admirable alcade ! Quel charmant sourire inquiet, quelle bêtise importante ! Quelle dignité stupide ! quelle hésitation judiciaire ! Comme cet homme sait bien que tout peut devenir alternativement faux et vrai ! Comme il est digne d’être le ministre d’un roi constitutionnel ! A chacune des demandes de l’alcade, l’inconnu l’interroge ; Bouffé répond, en sorte que questionné par la réponse, l’alcade éclaircit tout par ses demandes. Cette scène éminemment comique, où respire un parfum de Molière, a mis la salle en joie…